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Gauche ouvrière et chrétienne
16 mars 2008

Que s'est-il passé, au juste, en mai-juin 68 ?

L'événement Mai 68 expliqué à ceux qui ne l'ont pas vécu : une équipe de sociologues tente d'écrire « la vraie histoire » d'une crise.

Entretien

D'un côté, une célébration nostalgique : c'était le bon temps des luttes. De l'autre, un procès hargneux : ce fut l'origine de nos maux actuels, ruine de l'autorité et laxisme moral. Quarante ans après 1968, peut-être le temps de l'étude est-il venu. Autour de Bernard Pudal, une équipe de chercheurs de générations différentes (entre 35 et 55 ans) a voulu rendre aux événements leur force. Pour que les jeunes qui interrogent leurs parents comprennent mieux.

Quarante ans après, vous revenez aux faits ?

« Oui, on croule sous les interprétations mais on manque de connaissances précises. Qui étaient les soixante-huitards ? Pas seulement les leaders étudiants à Paris, mais aussi des paysans, des ouvriers, des femmes, en province. Il faut donc plonger dans des documents de l'époque : par exemple le règlement intérieur d'un grand lycée de Nancy, pour comprendre les transformations de la discipline, ou bien les archives des centrales syndicales pour percevoir ce qui s'est joué à Besançon, lors de la grève de Rhodiaceta (1967) ; ou encore les cahiers du Comité central de grève de Nantes. Sept millions de grévistes, paralysant pendant près de trois semaines entreprises, services et administrations, c'était sans précédent. Or, ce 68 ouvrier a été effacé de la mémoire collective. Déficit de connaissance autant que de reconnaissance. »

Mai 68, un événement historique ?

«Oui. Cette crise générale, étudiante, sociale, politique, a agi comme un scanner sur la société française. Elle a fait remonter à la surface les silencieux accords qui font une société. Ce qui va de soi et qui, tout d'un coup, est remis en question. Dans les années précédentes, les figures du « destin » s'étaient déjà fissurées ».

Par exemple ?

« C'est le cas des femmes. Elles s'engagent en masse dans les études et le travail salarié. La domination masculine perd son caractère « naturel ». L'exemple que nous avons étudié - des groupes de femmes à Auxerre - montre souvent un refus de reproduire le destin de la mère, lorsque celui-ci est perçu comme dominé par le père.

Frappante aussi, l'invention de « ruses » pour contourner les contraintes vécues par les femmes, le contrôle des corps et de la sexualité. Porter le pantalon traduisait alors l'affranchissement des préjugés. La mixité des formations a joué un rôle important avec, en même temps, le souhait d'échanger avec d'autres femmes et sortir de l'ombre, fût-elle celle d'un compagnon militant ».

Vous avez étudié, et c'est inattendu, l'évolution des « gens de maison »

« Entre 1968 et 1975, le nombre des femmes domestiques chute: de « bonnes », elles se transforment en « femmes de ménage », dont le statut va peu à peu se rapprocher des autres salariés. Des témoignages recueillis en 1971 montrent le progrès que représentent règles, horaires fixes, argent. Alberte, 29 ans, alsacienne : « On serait plus tranquille le jour où les patrons accepteraient de nous louer nos chambres, comme à n'importe quel locataire ».

Les ruptures, ce n'est pas seulement dans la famille ...

« Non, bien sûr, d'autres destins ne vont plus « de soi ». L'Ecole n'est pas en reste. Entre l'ancienne reproduction des élites et les exigences nouvelles de la démocratisation, un ordre symbolique est contesté. L'Eglise, l'encadrement politique et syndical sont eux aussi secoués sous la pression de croyants et militants d'un type nouveau. L'anticolonialisme de la guerre d'Algérie se transforme à partir de 1965 en anti-impérialisme avec la guerre du Vietnam.

Les « soixante-huitards », ce ne sont pas seulement des leaders connus comme Cohn-Bendit ?

« Non, il faut s'intéresser aux histoires « ordinaires ». Mai libère des paroles non autorisées. On veut dire qui on est et ce qu'on voudrait être, ce qu'est le monde et comment il devrait être. Sont les plus concernés les professionnels de la relation : éducation, justice, médecine, secteur social. La question centrale est celle-ci : « Qu'est-ce qui fonde l'autorité ? ».

Vous voulez redonner aux événements leur tranchant : ça veut dire quoi ?

« C'est un jésuite, psychanalyste - un peu oublié - qui l'a écrit dès l'automne 1968 dans « Etudes » : « En mai dernier, on a pris la parole comme on a pris la Bastille en 1789 ». L'inouï de Mai, c'est ça : une brèche dans les façons admises de penser le monde et soi-même. Les questions étaient déjà là; 68 les accélère.

Jusqu'à la crise économique de 1974, des pratiques nouvelles vont émerger. Exemple marquant : l'association nationale des Paysans-travailleurs, inspirée par les thèses de Bernard Lambert, agriculteur en Loire-Atlantique, débouchera plus tard sur la création de la Confédération paysanne. Mais ceci est une autre histoire... ».

Recueilli par Paul GOUPIL.

« Mai-juin 68 » (Editions de l'Atelier),

16/03/08   ouest - france

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