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Gauche ouvrière et chrétienne
9 juin 2007

CUMUL DES MANDATS,ULTRABONAPARTISME ET HYPERPRESIDENTIALISME

 
C’est une affaire qui semble entendue : l’allure du nouveau président de la République est de type bonapartiste. Son activisme personnel s’inscrit dans l’ancienne tradition césariste qu’avait renouvelé, déjà, le Premier Empire. Mais il y aurait une dimension résolument moderne dans ce style de gouvernement : nous évoluerions vers un présidentialisme que les formes de la V° République avaient trop longtemps bridé. Nous serions ainsi à la fois fidèle à une culture politique bien française et les premiers à
ouvrir la voie en Europe à une américanisation du pouvoir. Cette interprétation considère comme définitivement installé l’héritage singulier du bonapartisme et confond allègrement régime présidentiel et présidentialisme. Cette version de l’avènement du sarkozysme est à courte vue : elle ratifie une sorte de fin de l’histoire politique et occulte l’archaïsme du système français dans le contexte européen.

Le bonapartisme aura connu bien des évolutions à partir de quelques constantes. L’abaissement du Parlement à un double rôle de supplétif dans la fabrication de la loi et de figuration dans le contrôle du gouvernement en est une. La subordination complète des ministres en est une autre. Le « Corps législatif » de la Constitution de l’An VIII était appelé « l’assemblée des muets » et les ministres n’étaient qu’un « moyen de gouvernement » dans le texte de 1852. Marx voyait là « la véritable religion de la
bourgeoisie française » et ce pour deux raisons : d’abord parce qu’une telle concentration des pouvoirs plongeait ses racines dans l’inclinaison colbertiste-absolutiste des élites d’avant 1789 et ensuite parce qu’elle permettait de faire l’économie du compromis qui est au principe de la délibération parlementaire. L’efficacité ainsi acquise attentait certes aux libertés, mais donnait une popularité réelle au chef de l’Etat. Après tout Napoléon III savait jouer l’arbitre dans les conflits du travail : de
1852 (à Rive de Giers) à 1862 (aux typographes engagés dans une grève dure) il donne souvent raison aux ouvriers. Le troisième tour social de l’époque eut bien lieu mais surtout entre les patrons et des prolétaires qui dans leur masse plébiscitaient plutôt Napoléon le Petit. Et ce dernier se maintint ainsi au pouvoir durant 23 années. Ce que tente le sarkozysme c’est une refondation de cette tradition bonapartiste-là favorisée par le quinquennat : une totalisation des pouvoirs qui restent formellement
séparés mais dont l’unité fonctionnelle est garantie par leur concentration sur la seule institution présidentielle. Le cercle de la politique est ainsi précisément circonscrit et autorise des échappées sociales en tout sens et en tout genre. La limite de cette méthode c’est la maximisation de la responsabilité du seul chef de l’Etat. Le Premier ministre étant réduit au rôle de « chef de cabinet » (comme Sarkozy avait dit qu’il le serait dès janvier 2006), le fusible qu’il était devenu dans la V° République
peut ne plus servir à rien. Trois fois déjà en 1986, 1993, 1997 une majorité de français a rejeté le « gouvernement présidentiel ». La conflictualité sociale spécifique à la France peut faire exploser cet ultra-bonapartisme-là.

C’est la raison d’ailleurs qui jusqu’ici retenait les plus audacieux quand ils rêvaient d’importer le régime présidentiel américain. Curieusement beaucoup aujourd’hui et en particulier à gauche, se réjouissent du fait que cela soit silencieusement en train de se faire aux risques et périls d’une droite artificiellement réunifiée. Or, sauf à confondre ce régime avec le présidentialisme propre à la V° République, il n’en est rien. Notre système reste un des derniers au monde à investir un chef de l’Etat élu
au suffrage universel direct doté d’un pouvoir de direction politique sans contrepoids véritable. Il lui faut pour cela disposer d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale ; et plus celle-ci est écrasante plus le système s’épanouit ce qu’ont bien compris Sarkozy et Fillon. Ce n’est évidemment pas le cas aux Etats-Unis : d’abord parce que l’élection présidentielle est totalement indépendante des législatives ; ensuite parce que le Président élu n’agit pas comme leader de parti mais comme puissance de
négociation tant vis-à-vis des groupes de pression que du Congrès en tant que tel ; enfin parce que le système des partis américains est principalement électoral et non gouvernemental d’où l’indépendance qui les caractérise même vis-à-vis du Président même de leur camp. La V° République a inventé un système à l’opposé. Une présidence impériale envahit tout, depuis le gouvernement jusqu’à la majorité parlementaire en passant par les autorités administratives réputées indépendantes. Ajoutons-y l’influence sur
les médias et un domaine réservé incluant un invraisemblable pouvoir personnel de nomination et nous avons le dispositif d’un hyperprésidentialisme sans égal dans les démocraties contemporaines. Tous les pays européens sans exception, du Sud comme de l’Est, qui s’étaient inspirés du « modèle français » au sortir de leurs dictatures ou empires l’ont abandonné depuis.

Mais celui-ci n’est pas le fait que du seul Nicolas Sarkozy. Si nous en sommes là, c’est parce que la gauche aussi a fait silence sur cette histoire et cette pratique des institutions. Non seulement elle n’a plus fait le procès du bonapartisme, mais elle a encouragé le présidentialisme. C’est elle qui a voulu le quinquennat ; c’est elle qui a inversé le calendrier électoral de 2002 pour que l’élection présidentielle prime sur les législatives. Cette gauche ne se reconstruira pas si elle ne rouvre pas le
chantier de la démocratie dans
la République moderne.

Paul Alliès

Professeur de science politique à l’Université de Montpellier. Vice-président de la Convention pour la 6° République. Dernier ouvrage : « Le grand renoncement. La gauche et les institutions de la V° République ». Textuel. 2007.

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CUMUL DES MANDATS : PASSEES LES BORNES, IL N'Y A PLUS DE LIMITES !

Jusqu’où ? Et jusqu’à quand les professionnels de la politique vont-ils s’autoriser à cumuler mandat sur mandat pour le plus grand mépris de l’aspiration profonde à la démocratie qui caractérise notre société ?

Toujours cette idée nécessaire, évidente : le mandat unique pour les députés. Et toujours ces retours en arrière, cette impossibilité d’y arriver, juste parce que les spécialistes de la politique n’en veulent pas et veulent garder la possibilité de jouer l’essentiel : dérouler une carrière en politique.

Certes Jacques Chirac, affaibli en 2005, n’avait pas réussi à imposer à ses ministres le respect de « la jurisprudence Balladur », prolongée par Lionel Jospin entre 1997 et 2002, selon laquelle les ministres ne doivent pas être simultanément président d’un exécutif local. Mais qu’un ministre d’Etat puisse, en 2007 considérer normal d’être aussi maire d’une ville comme Bordeaux tout en visant la présidence de la Communauté Urbaine en 2008 donne une idée de la puissance des réflexes corporatistes contre
toutes les attentes de la société française. Alain Juppé garde t-il un souvenir si radieux de la période 1995-1997 où il était tout à la fois 1er ministre, maire de Bordeaux, Président de la CUB, président de l’UMP ? Est-il si certain d’avoir réussi ? Et n’a-t-il retenu aucune leçon du glissement vers la prise illégale d’intérêt auquel l’a conduit le cumul de positions pourtant inconciliables, telles trésorier du RPR et adjoint aux finances de la mairie de Paris ?

Et plus de la moitié des nouveaux ministres ou secrétaires d’Etat, dont le premier d’entre eux, sont candidats aux élections législatives, pour prêter leur nom, faire élire leur suppléant, et marquer leur territoire, leur fief, dans une logique très conforme à la 5ème République, c’est-à-dire peu démocratique. Si prompt à pousser des cris d’orfraie quand Ségolène Royal a proposé, modestement, une procédure de tirage au sort de citoyens appelés à donner leur avis sur les politiques menées, conformément à une
conception ancienne de la démocratie qui parait aujourd’hui hérétique et à des pratiques locales diffusées en Europe, le milieu politique nous surprend aujourd’hui par son silence.

Nicolas Sarkozy, qui n’a jamais évoqué le mandat unique pour les députés, a gagné l’élection présidentielle. Il n’y a sans doute rien à attendre du Président de la République sur cette question. Il s’agit en effet d’un homme qui a accepté d’être pendant près de quatre ans à la fois président du Conseil Général des Hauts de Seine et Ministre de l’intérieur, et à ce titre le supérieur hiérarchique du préfet en charge de contrôler la légalité des actes pris par le premier. Comme s’il n’y avait pas de limites
au cumul pour un professionnel de la politique. Nicolas Sarkozy s’est durant cette campagne présenté en héraut du professionnalisme en politique, selon un modèle ancien, et en revendiquant de manière inédite le cynisme en politique. Soufflant sur l’angoisse, il a été « l’homme qui sait » alors que les incertitudes qui caractérisent l’avenir renvoient plutôt cette figure au rayon des nostalgies. Ségolène Royal a sans doute pris des risques en janvier 2007 avec la démocratie représentative, dans le cadre
d’une élection présidentielle, la phase participative de sa campagne manquait peut-être de préparation, de méthode et in fine de crédibilité. Mais elle a été d’autant plus renvoyée à « celle qui ne sait pas » qu’elle défendait une conception de la politique plus adaptée aux temps modernes et que les stéréotypes de genre ont pu alors jouer efficacement.

De Besancenot à Bayrou, pourtant, le mandat unique a été majoritaire lors du vote de 22 avril. Il est massivement plébiscité par l’opinion publique telle que la mesure les instituts de sondage, au delà des proximités partisanes. Un tel soutien à la démocratie est réjouissant par contraste avec les pratiques des plus professionnels. Car si l’opinion sur ce point dépasse les clivages partisans, il en va de même des pratiques. Pour une Ségolène Royal renonçant à son mandat de député, combien de candidats
socialistes aux élections législatives, comme en 2002, après avoir fait campagne pour le mandat unique pour les députés, sont des maires, des présidents de régions et de départements, des membres des exécutifs locaux ? Entre 2002 et aujourd’hui, seuls 68 députés exerçaient ce seul mandat. Combien demain ?

Non seulement le mandat unique pour les députés transformerait les visages de la représentation nationale, assoirait le Parlement malmené dans notre République mais il renouvellerait la démocratie territoriale, là où la participation des habitants doit trouver à s’épanouir dans des conditions crédibles. Jusqu’à présent, la décentralisation est faite par des élus locaux pour des élus locaux, dans la mesure où ce sont des patrons de collectivités locales cumulants qui font la loi au Parlement. Il en résulte
depuis vingt-cinq ans une décentralisation qui consiste à promouvoir de multiples collectivités locales, aux compétences croisées, le tout hypothéquant l’idée même d’une participation des habitants aux décisions des collectivités locales, pour un coût prohibitif. La démocratie représentative locale fonctionne mal entre des structures intercommunales non élues au suffrage universel direct et des assemblées communales, départementales, régionales organisées sur le présidentialisme, la confusion des pouvoirs
exécutif et « délibératif » sur une personne. Dans ces conditions, le mouvement d’institutionnalisation de la participation des citoyens donne le change bien plus qu’il ne change la donne. Ce n’est pas une fatalité : la démocratie locale pourrait être dessinée par des députés pour des citoyens et animés par des élus locaux.

Tout en étant ministre-maire-élu député, on viendra sous doute demain vanter la démocratie locale à la bordelaise, en faisant semblant de croire que la difficile animation de dispositifs participatifs peut s’accommoder de l’absence et de la sur-occupation, comme s’il s’agissait là d’éléments secondaires et décoratifs. Les électeurs le croiront-ils alors ?

Le printemps 2007 sonne comme un coup de massue pour la majorité qui souhaite l’évident mandat unique pour les députés, refusé par la toute petite minorité, spécialiste de la politique, qui cumule des mandats tout en imposant une définition restrictive de la politique qui lui convient. Reste à tous les autres, aux citoyens, aux non spécialistes, aux sans pouvoir, leur bulletin de vote, à la fois lors des élections municipales de 2007 et des élections municipales de 2008, pour imposer d’eux-mêmes ce mandat
unique.

Marion Paoletti

Maître de conférences en science politique à l'université de Bordeaux IV.
Membre fondateur de la C6R.
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