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Gauche ouvrière et chrétienne
24 mai 2008

Les créations d’entreprises en hausse, un trompe-l’œil salutaire

Conjoncture. Bercy voit un lien entre les PME créées et le dynamisme économique. Et pourtant…

CHRISTOPHE ALIX

QUOTIDIEN : vendredi 23 mai 2008

 

C’est devenu un indicateur de la vitalité économique française. Au même titre que la progression de la croissance. Chaque mois ou presque, le gouvernement se félicite de la hausse des créations d’entreprises en France. Comme s’il tenait là la preuve d’une économie redynamisée. Le dernier cru, rendu public hier, n’échappe pas à la règle. Avec 3,5 % d’augmentation en avril, les créations d’entreprises sont «toujours plus vigoureuses» commente-t-on à Bercy. Soit un gain de 28 635 entreprises supplémentaires le mois dernier, dans lequel la ministre de l’Economie, Christine Lagarde, voit la confirmation du «sursaut de l’esprit d’entreprise observé depuis plusieurs mois en France».

Le phénomène n’a en fait rien de nouveau et cache une réalité pas si glorieuse. La création d’entreprise a pris son envol dans l’Hexagone, comme dans le reste de l’Europe, au début des années 2000 et rien depuis ne semble la freiner. Alors qu’il se créait autour de 200 000 entreprises jusqu’en 2002 en France, leur nombre n’a ensuite cessé de croître. En 2007, 321 000 nouvelles TPE (toutes petites entreprises) et PME ont vu le jour, 13 % de plus qu’en 2006. «La création d’entreprise n’est pas liée à la croissance, tempère Eric Heyer, économiste à l’OFCE, l’Observatoire français des conjonctures économiques. Durant cette période, la croissance est restée atone, autour de 1,8 % par an, alors que la création d’entreprise a cru de 60 %. Ce n’est donc pas elle qui génère de l’activité.»

«Symptôme de difficultés». Comme l’Insee le montre dans ses enquêtes, les chômeurs sont les premiers concernés par cette vague qui n’épargne aucun secteur d’activité - avec toutefois une prédilection pour les transports, l’agroalimentaire (essentiellement les boulangeries) et les services aux particuliers. En 2006, 40 % des nouveaux créateurs d’entreprises étaient ainsi d’anciens chômeurs. Des vocations largement stimulées par la loi pour l’initiative économique de 2003, qui a levé le principal obstacle au passage à l’acte en supprimant tout montant minimal de capital nécessaire à la création d’une société. Le durcissement des conditions d’indemnisation chômage a également joué son rôle, au point que même à l’Insee, on reconnaît que «le boom de la création d’entreprise peut aussi être le symptôme de difficultés économiques». Résultat, les toutes petites entreprises se sont multipliées ces dernières années (87 % d’entre elles sont sans salarié) avec une mise de départ inférieure à 4 000 euros pour un tiers d’entre elles. Impossible dans ces conditions de ne pas s’interroger sur la pérennité de ces nouvelles sociétés. Ce que les économistes ne se gênent pas de mettre en doute. «En mettant en avant systématiquement ce chiffre, c’est comme si l’on comptabilisait les créations d’emplois sans prendre en compte les destructions d’emploi», explique-t-on à l’OFCE. Il faudrait au minimum indiquer les créations nettes d’emploi, sinon cela n’a aucun intérêt.» La fragilité de ces micro-entreprises s’observe notamment par le recours croissant aux systèmes d’aide publique. Un bon tiers d’entre elles a bénéficié de l’aide aux chômeurs créateurs et repreneurs d’entreprises (Accre) en 2007 - quatre fois plus qu’en 2002 - qui permet de ne pas payer de charges sociales pendant un an. Mais plus dure est la chute. «Cette incitation n’est pas pérenne et beaucoup de ces boîtes périclitent à son issue», soutient Eric Heyer pour qui ces chiffres masquent surtout la réalité du chômage.

A l’Agence pour la création d’entreprise (APCE), on ne conteste pas ce lien entre chômage et création d’entreprise. Mais, chiffres à l’appui, on précise que l’espérance de vie des nouvelles sociétés est en hausse. «66 % d’entre elles existent encore trois ans après leur création», explique Sandrine Plana, chargée des études. Au total, le taux de survie des entreprises créées par des demandeurs d’emploi (64 %) n’est d’ailleurs pas tellement inférieur à celui des créateurs précédemment en activité (72 %). «C’est plus le secteur d’activité, réglementé ou pas, et le type de métier qui compte, poursuit-elle. Les artisans, par exemple, réussissent mieux.» Autre écueil, selon l’APCE, la notion même de «pérennité» est à prendre avec des pincettes. «Il ne faut pas confondre les cessations d’activité, nombreuses, avec l’échec économique. Un certain nombre d’entreprises s’arrêtent pour des motifs autres qu’économiques.»

Petite taille. Le véritable problème réside en fait dans la taille des entreprises créées. La France - qui compte proportionnellement plus d’entrepreneurs qu’aux Etats-Unis - a le plus grand mal à faire croître ses TPE-PME et à les orienter vers des secteurs porteurs : seulement 4,2 % d’entre elles sont innovantes (technologies de l’information, biotechs, etc.), un chiffre stable depuis 2004. Pour doper ces secteurs, le gouvernement mise sur le triplement du crédit d’impôt recherche et une nouvelle batterie de mesures de la future loi de modernisation de l’économie qui sera discutée au Parlement la semaine prochaine. Pour entretenir encore un peu la jolie fable de la création d’entreprise.

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