TIBET • Déclaration de Tibétologues au président chinois

Monsieur le Président de la République Populaire de Chine,

Tout au long de ces deux dernières semaines, le monde a été témoin d'une vague de manifestations sur tout le haut plateau tibétain, suivies souvent par une répression dure et violente. Dans la majorité des cas, ces manifestations ont été pacifiques. Il en a résulté en un nombre inconnu d'arrestations et la perte de nombreuses vies, principalement parmi les Tibétains. Il est compréhensible que cela ait provoqué l'inquiétude et de l'angoisse de toute la planète.

En tant que tibétologues, nous sommes particulièrement troublés par ce qui s'est passé. La civilisation que nous étudions n'est pas simplement un sujet d'étude universitaire : elle est aussi l'héritage et la matière vive d'un peuple réel et l'un des plus grands patrimoines culturels du monde. Nous exprimons notre profonde tristesse face aux morts horribles d'innocents, Chinois comme Tibétains. La vie a changé de manière catastrophique dans des lieux qui nous étaient familiers, la tragédie a pénétré la vie d'un peuple que nous connaissons bien. Au moment de rédiger cette déclaration, des nouvelles d'arrestations et de tirs à vue continuent de nous parvenir, visant même des participants à des manifestations pacifiques. Les accusés sont soumis à une justice sommaire qui leur refuse leurs droits légitimes, et un nombre incalculable d'autres sont forcés de répéter des slogans politiques et de dénoncer leur leader religieux.

Nous ne pouvons plus garder le silence face à ce qui se passe au Tibet. A l'heure actuelle, la suppression de l'opposition politique semble être le but premier des autorités sur toute l'étendue des territoires tibétains de Chine, lesquels ont été isolés du reste de la Chine et du monde extérieur. Toutefois, de telles mesures n'élimineront pas le ressentiment latent exprimé par les Tibétains. En tant qu'universitaires, nous sommes particulièrement sensibles à la liberté d'expression. La violation de cette liberté fondamentale et la criminalisation des sentiments que le gouvernement chinois a du mal à entendre sont contre-productifs. Loin de faire décroître les griefs, cela ne fera que contribuer à l'instabilité et à la tension.

La question n'est pas le refus des Tibétains de supporter des entraves au discours et à l'expression, entraves qu'aucun d'entre nous n'accepterait dans sa propre vie. La question n'est pas non plus de savoir ce que disent les Tibétains. Il s'agit ici de la manière dont on les écoute et dont on leur répond. En attribuant les troubles actuels au Dalai Lama, le gouvernement chinois s'acharne à ne pas reconnaître et solutionner les échecs de sa propre politique qui sont, sans nul doute, la vraie cause de ce mécontentement populaire. La diabolisation incessante du Dalai Lama par le gouvernement, diabolisation qui est indigne du niveau de discours accepté par la communauté internationale, ne sert qu'à alimenter la colère et l'aliénation des Tibétains. Ceux d'entre nous qui consacrons notre vie professionnelle à la compréhension du passé et du présent du Tibet, sa culture et sa société, ne peuvent que protester fermement contre cette situation. Elle a en effet entraîné un choc partagé par les communautés vivant en Chine et à l'extérieur, et nous sommes en accord total avec la pétition en douze points qui a été soumise par un groupe d'écrivains et d'intellectuels chinois le 22 mars.

C'est pourquoi nous appelons à la cessation immédiate du recours à la force contre les Tibétains à l'intérieur de la Chine. Nous appelons à la fin de la suppression de l'opinion tibétaine, quelle soit la forme que prend cette suppression. Et nous appelons à la reconnaissance unanime du fait que les Tibétains, comme tous les citoyens de la Chine, ont droit à la liberté de parole et d'expression qui est garantie par les accords internationaux et par les normes reconnues des droits humains.

courrier internationale le 27/03/08