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Gauche ouvrière et chrétienne
10 décembre 2007

L’Etat de droit, un concept inexistant à Tripoli

L’Etat de droit, un concept inexistant à Tripoli

Human Rights Watch dénonce arrestations et disparitions.

CHRISTOPHE AYAD

QUOTIDIEN : lundi 10 décembre 2007

Qui connaît Fathi al-Jahmi? Cet ingénieur est le plus célèbre prisonnier politique libyen et il serait judicieux que Rama Yade, la secrétaire d’Etat aux droits de l’homme de Nicolas Sarkozy, se souvienne de son nom au moment où elle serrera la main du colonel Kadhafi. Jahmi a été arrêté une première fois en octobre 2002 pour avoir demandé l’abolition du Livre vert, le recueil des pensées du Guide de la révolution censé inspirer tous les Libyens jusque dans leur vie quotidienne. Il avait aussi réclamé, en public, des élections libres, une presse pluraliste et la libération de tous les prisonniers politiques. Relâché en mars 2004, Fathi al-Jahmi accordait une interview à la chaîne satellitaire américaine en arabe al-Hurra: «Tout ce qui lui [Kadhafi] reste à faire est de nous donner un tapis de prière pour qu’on se prosterne devant son image et qu’on le révère.» Dix jours plus tard, il déclarait sur une autre chaîne étrangère: «Je ne reconnais pas Kadhafi comme leader de la Libye.» Le lendemain, il était à nouveau arrêté, ainsi que sa femme et son fils aîné. Depuis, ces deux derniers ont été relâchés mais pas Fathi al-Jahmi, qui est détenu, selon les autorités, pour «le protéger de la colère du grand public suscitée par ses déclarations». Si c’est pour son bien…

Dictature kafkaïenne. Al-Jahmi est toujours détenu au secret - pour son bien évidemment - et son procès, promis par les autorités n’a toujours pas eu lieu. Le problème en Libye, ce ne sont pas seulement les droits de l’homme mais l’absence d’Etat de droit tout court, qui en fait une dictature kafkaïenne. Fred Abrahams de Human Rights Watch avoue ne pas savoir combien de prisonniers politiques sont détenus en Libye: «Des dizaines, sûrement, des centaines peut-être.» Son organisation, qui s’est rendue une fois en Libye en 2005, attend toujours un nouveau visa. «La plupart des prisonniers politiques sont des islamistes, qui n’ont jamais été présentés à un juge ou à un avocat. Parfois leur procès débute puis s’arrête inexplicablement, sans raison apparente.» Le pire est le cas des prisonniers «disparus»: leurs familles ne savent ni où ils sont détenus, ni même s’ils sont encore vivants. Human Rights Watch en a recensé cinq, à l’occasion de la visite de Kadhafi en France.

Torture. Quant à l’usage de la torture, inutile de le contester depuis les témoignages accablants des infirmières bulgares et du médecin palestinien. Mais que dire, aussi, de cette spécificité libyenne: les centres de réhabilitation sociale où sont littéralement emprisonnées des jeunes femmes violées, rejetées par leur famille pour atteinte à l’honneur? Quant aux immigrés africains, déjà que les Libyens n’ont aucun véritable droit, on imagine leur situation…

Pour Fred Abrahams, la situation des droits de l’homme en Libye a connu un léger mieux en 2004-2005, suite aux pressions internationales et au désir de Tripoli de réintégrer le concert des nations. A cette époque, les «tribunaux populaires», qui jugeaient tout spécialement les affaires politiques, ont été supprimés. «Mais depuis 2006, ce mouvement s’est arrêté et il s’est même inversé», ajoute Fred Abrahams.

Ainsi, quatorze personnes ont été arrêtées au début de l’année pour avoir seulement eu l’intention de manifester à Tripoli, un an après les émeutes contre les caricatures de Mahomet à Benghazi durant lesquelles la police avait tué cinq personnes. Ces 14 dangereux agitateurs n’ont même pas eu le temps de se réunir dans la rue, la police les a cueillis chez eux grâce à des écoutes. En Libye, seule la presse officielle a droit de cité. De fait, les Libyens s’informent via les chaînes arabes par satellite comme Al-Jazeera. Internet fait l’objet d’une surveillance moins étroite qu’en Tunisie mais suffisante pour susciter des arrestations d’internautes à l’esprit trop frondeur.

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