Écoeurement après le suicide chez Ed
Commerce . Un chef de magasin s’est donné la mort dans le Val-d’Oise, au lendemain de son entretien préalable au licenciement.
En début de semaine dernière, le responsable de l’hypermarché Ed de Persan, Val-d’Oise, s’est pendu dans la réserve de l’établissement, où des employés l’ont découvert. Aussitôt la direction a décidé de fermer le magasin pour quelques jours et de placer le personnel traumatisé en arrêt de travail en leur demandant le silence. « Toute l’enseigne est sous le choc, peut-on lire dans un communiqué du siège social. Les suppositions formulées par certains représentants syndicaux sont indécentes et infondées dans un contexte aussi douloureux. À l’évidence, ces personnes n’ont pas eu connaissance des démarches pour aider ce collaborateur. »
Trois enquêtes - police, inspection du travail et CHSCT - sont en cours. Mais à la CGT, on estime « prendre ses responsabilités en refusant d’entrer dans le jeu de la confidentialité ». Ainsi, selon l’un de ses délégués syndicaux, la victime était sous le coup d’une procédure de licenciement. « On l’avait muté de force de Taverny à Persan début août mais il refusait de l’accepter et de signer son avenant. Lors de son entretien préalable, le 24 août, on lui a alors reproché son incompétence et son inaction après dix ans d’ancienneté. Se suicider sur son lieu de travail, ça veut dire quelque chose. »
Dans la même veine, la CFDT commerce n’hésite pas à avancer : « Eu égard aux conditions de travail lamentables et aux relations sociales désastreuses dans la société Ed, groupe Carrefour, nous redoutons que ce drame personnel ait un lien direct avec le travail. » Spécificité de la logique hard discount, le nombre d’employés est calculé en proportion du chiffre d’affaires et non de la superficie du magasin. Résultat, les surfaces de 800 mètres carrés ne comptent jamais plus de quatre salariés. Tenir la caisse, laver les vitres, ranger les rayons, mais aussi assurer la comptabilité, l’encadrement et les tâches administratives… Le chef n’est qu’un salarié « transmetteur de consignes ». Selon l’un d’entre eux, responsable d’un magasin francilien, « il n’est pas rare d’être à soixante heures par semaine, payées 35 bien sûr. Les heures sup ne sont jamais rémunérées. En principe, elles peuvent être récupérées mais vu qu’on est en sous-effectif, les compteurs s’accumulent ». Dans cette enseigne hard-discount, créée en 1978, les salaires des chefs de magasin ne dépassent pas les 1 300 euros net par mois.
« Aujourd’hui, nous ne savons pas ce qui a poussé cet homme à un geste désespéré, par contre je connais ce boulot et je sais que les techniques de management impliquent d’être très solide dans sa tête. » Alexandre Torgomian sait de quoi il parle. En 2003, ce chef adjoint du Ed de Vaugirard, à Paris, a subi la pression continue de sa hiérarchie parce qu’il refusait de « travailler gratuitement ». « Je recevais des dizaines d’avertissements en recommandé. Dans ces moments-là, on est obligé de douter. Heureusement que j’ai été entouré. » À deux reprises, la justice a reconnu le harcèlement moral. « Quand la direction a décidé de se débarrasser de vous, tous les moyens sont bons pour vous pousser à la faute, pour vous faire craquer, témoigne, en pleurs, un délégué CGT. Ils font des visites à répétition dans votre magasin en expliquant que vous faites tout mal, que vous êtes un bon à rien. » Selon lui, le responsable du magasin de Persan avait reçu au moins quatre visites de sa hiérarchie au cours du mois d’août. « Vous savez, ce qui m’étonne le plus, c’est que ce genre de drame ne soit pas arrivé plus tôt chez Ed. »
Christelle Chabaud
L'humanité le 22 septembre 2007
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