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Gauche ouvrière et chrétienne
10 avril 2007

Téhéran de plus en plus isolée

    Point de vue par  Dominique Moisi (*)
       

 

   

 

   

   

Pour comprendre les conséquences de la crise des marins britanniques pris en otage par l'Iran et l'exploitation médiatique de leur libération, il faut parler d'« équilibre des faiblesses ». En effet, ni la Grande-Bretagne, dont les marins constituaient des cibles trop faciles, ni le président iranien Ahmadinejad, dont l'initiative est apparue trop aventureuse au guide suprême, Ali Khamanei, ne sont sortis grandis de la résolution rapide de cette crise. L'incident n'a pas renforcé le moral d'une armée britannique qui se sent déployée dans trop de conflits avec trop peu de moyens. La catastrophe irakienne, les risques sérieux d'« irakisation » de l'Afghanistan n'affectent pas que les États-Unis, mais également leur plus proche alliée, la Grande-Bretagne.

« Le cadeau au peuple britannique » de Mahmoud Ahmadinejad ne saurait masquer la signification réelle de ce geste, qui constitue une véritable défaite politique du Président et des Gardiens de la révolution qui ont mené cette opération de kidnapping. Depuis quelques mois, en particulier depuis l'unanimité des résolutions de l'Onu contre l'Iran, le climat a changé à Téhéran. L'Amérique n'est pas plus forte, mais l'Iran est plus faible. La révolution iranienne s'est de plus en plus isolée, internationalement et régionalement. Cet affaiblissement diplomatique pourrait même devenir un obstacle à la volonté d'« enrichissement » nucléaire du pays. Un homme est désigné du doigt comme le responsable de cet auto-isolement de l'Iran, Mahmoud Ahmadinejad. Pour certains spécialistes de l'Iran, la survie politique du Président est en cause et les rumeurs d'un « coup silencieux » commencent à circuler à Téheran.

Une chose est certaine, l'Iran découvre qu'il n'a pas toutes les cartes entre ses mains et que son régime est allé trop loin dans les provocations inutiles, de la conférence « révisionniste » sur l'Holocauste à l'enlèvement des marins britanniques. Trop c'est trop et les Iraniens sont trop fins politiques pour ne pas commencer à s'en rendre compte. Le président Ahmadinejad peut avoir l'ambition d'incarner la forme la plus radicale de résistance au « sionisme » et à l'Occident, mais les régimes qu'il entend ainsi déstabiliser en s'adressant directement à leurs citoyens, par dessus leurs têtes, ne semblent pas sur le point de s'effondrer. L'Égypte est, certes, affaiblie, mais l'Arabie Saoudite ne l'est pas. C'est, à court terme, l'inverse même qui semble se produire et c'est le régime iranien que ses citoyens accusent de gérer de manière parfaitement incompétente le pays.

Téhéran commence à prendre très au sérieux la menace de frappes américaines. La diplomatie de la canonnière, avec le déploiement de forces navales impressionnantes dans le Golfe, oblige les Iraniens à se poser des questions : « Et si les Américains allaient frapper ? » Le ralliement de la Chine et de la Russie aux résolutions, certes, atténuées des Nations unies les a pris de court. Les Iraniens comptaient sur la faiblesse et les divisions de la communauté internationale.

Certes, rien n'est encore joué. L'ambition nucléaire de l'Iran, avec ou sans Ahmadinejad à sa tête, reste intacte comme le prouve l'annonce, hier, du passage du pays à l'enrichissemenet industriel d'uranium. Mais c'est parce qu'il commence à constituer un obstacle à la réalisation de cet objectif que le président iranien est de plus en plus contesté. L'ambition nucléaire des Iraniens, y compris des plus modérés, n'a pas varié d'un pouce. Sur ce plan, la diplomatie occidentale a échoué. Et le dilemme reste intact. Quel est le scénario le plus catastrophique ? Celui d'un Iran nucléaire ou celui d'une nouvelle guerre au Moyen-Orient, avec l'Iran cette fois-ci ? On ne saurait laisser entendre aux Iraniens qu'ils ne peuvent, à la fois, avoir à leur tête Ahmadinejad et poursuivre une ambition nucléaire, et qu'avec un Président plus « acceptable » nous serions plus « compréhensifs ». Les présidents passent, l'arme absolue demeure. L'alternative à la prolifération nucléaire de la région serait un accord de dénucléarisation généralisé qui suppose l'existence d'une paix et d'un climat de confiance entre tous les États de la région, y compris Israël. Un accord qui est bien loin d'exister.

(*) Conseiller spécial à l'Ifri (Institut français des relations internationales).

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