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elon
des sources onusiennes et diplomatiques, la France a été sur le point,
mercredi 16 août, d'annoncer une participation uniquement symbolique à
la force de 15 000 casques bleus chargés de maintenir une paix fragile
au Liban sud, alors qu'elle était pressentie pour en constituer la
colonne vertébrale. Cette décision a semé le trouble aux Nations unies.
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UNE FORCE DE STABILISATION
Votée
vendredi 11 août à l'initiative de la France et des Etats-Unis, la
résolution 1701 du Conseil de sécurité de l'ONU appelait à une
cessation "complète" des hostilités au Liban sud. Le texte
prévoyait le déploiement de 15 000 hommes de l'armée libanaise dans le
sud du pays, dominé par le Hezbollah depuis six ans. La résolution
demandait parallèlement à l'armée israélienne de retirer "toutes ses forces" de la région. La Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) doit superviser l'opération.
UN MANDAT COMPLEXE
La
résolution 1701 transforme la Finul, une force presque trentenaire de 2
000 casques bleus (dont 200 Français), largement impuissants, en une
force robuste de 15 000 hommes autorisés à "prendre toutes les mesures nécessaires",
et donc à user de la force pour faire respecter leur mandat : établir
dans le Sud une zone tampon, dont le Hezbollah et l'armée israélienne
seront exclus, "contrôler la cessation des hostilités", "aider" l'armée libanaise à se déployer et prévenir tout acte hostile dans ses zones de déploiement.
PAYS CONTRIBUTEURS
Mercredi
16 août, l'ONU n'avait pas encore annoncé de contribution officielle
aux effectifs de la Finul renforcée. Selon des sources diplomatiques,
l'Indonésie aurait fait une offre "ferme" pour un bataillon
d'infanterie mécanisé. La Suède proposerait des unités de surveillance
côtière, l'Allemagne des policiers et des douaniers pour prévenir
l'importation illégale d'armes par la Syrie. Turquie, Maroc, Malaisie,
Belgique, Italie, Portugal et Espagne étaient aussi intéressés.
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| Le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, devait appeler le président français, Jacques Chirac, jeudi 17 août "à la première heure",
pour tenter de le convaincre de participer activement à la future force
internationale. Une réunion sur la création de cette force, à laquelle
une soixantaine de pays devaient participer, est prévue jeudi à New
York.
L'alerte a été donnée au département du maintien de la paix
de l'ONU lorsque les fonctionnaires internationaux ont appris,
mercredi, que la ministre française de la défense, Michèle
Alliot-Marie, invitée le soir au journal de France 2, devait annoncer
que Paris ne contribuerait que modestement au renforcement de la Force
intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), en fournissant une
dizaine d'officiers et une compagnie du génie d'environ 200 hommes. Une
"force de réaction rapide" tricolore devait aussi être placée à la disposition de l'ONU, mais non sous son commandement. RISQUE D' "EFFET BOULE DE NEIGE" Craignant qu'une telle décision ait "un effet dévastateur"
sur les autres pays potentiellement contributeurs de troupes, les
responsables onusiens ont demandé, et obtenu, un report de l'annonce
française.
Michèle Alliot-Marie s'est bornée, sur France 2,
mercredi, à annoncer que le général français Alain Pellegrini, qui
commande actuellement les 2 000 hommes de la Force intérimaire des
Nations unies au Liban (Finul), l'embryon de la future force, resterait
en poste jusqu'en février. "Quand on envoie une force sans que sa
mission soit très précise, sans que ses moyens soient adaptés et soient
suffisamment importants, cela peut se transformer en catastrophe, y
compris pour les militaires que nous envoyons", a toutefois prévenu la ministre de la défense.
Depuis
plusieurs jours, les milieux diplomatiques considéraient comme acquise
une participation française à hauteur de 2 000 à 5 000 hommes, qui
aurait fait de Paris le dirigeant naturel de la nouvelle force. Une
force autorisée par la résolution 1701 du Conseil de sécurité, rédigée
par la France et les Etats-Unis et adoptée à l'unanimité le 11 août.
Le revirement français, qui, selon une source onusienne, "menace tout le processus", est motivé, selon un responsable militaire, par "le traumatisme de la Bosnie" et "les craintes de représailles de la Syrie ou de l'Iran", deux régimes qui soutiennent le Hezbollah et contre lesquels la France mène des batailles diplomatiques.
Alors
que le déploiement de 15 000 casques bleus risque de prendre plusieurs
mois, l'ONU, qui estime que la cessation des hostilités au Liban sud
est fragile, souhaite pouvoir déployer, sous quinze jours, une
avant-garde de près de 3 500 hommes, issus d'armées hautement
professionnelles. Mais, mercredi soir, le département des opérations de
maintien de la paix manquait cruellement de volontaires.
La réunion de jeudi, dirigée par le numéro deux de l'ONU, Mark Malloch Brown, devait rassembler une soixantaine de pays "intéressés". Les responsables onusiens, qui devaient présenter leur "concept d'opération" et les "règles d'engagement" de la force, comptaient toujours sur l'annonce d'une forte participation française.
La France est considérée par l'ONU comme "un pays baromètre" : la direction des opérations par Paris entraînerait, selon les fonctionnaires onusiens, "un effet boule de neige" sur les autres pays. Une participation mineure donnerait au contraire l'impression que "la France n'a pas confiance en l'ONU", estiment-ils, et aurait un effet "démobilisateur". Sans Paris, estime un responsable, la Finul renforcée sera "bancale" et incapable de faire respecter le cessez-le-feu. "Les pays européens et les pays musulmans, tout le monde attend la France", assure cette source. Paris insiste pour que toute participation française se fasse dans "un cadre européen" avec "un équilibre" entre pays occidentaux et musulmans. LES MILITAIRES FRANÇAIS CRAIGNENT DE N'AVOIR "QUE DES COUPS À PRENDRE" Mais,
en dépit de la volonté de Paris de poursuivre l'engagement diplomatique
au Liban par un engagement militaire, l'état-major reste marqué par
l'amère expérience des casques bleus en Bosnie-Herzégovine, dans le
cadre de la Force de protection des Nations unies (Forpronu,
1992-1995). La France avait subi de lourdes pertes et connu les
humiliations d'une armée paralysée.
L'armée française est,
depuis, réticente à servir sous le drapeau bleu de l'ONU. Elle craint
que le mandat de la résolution 1701, qui n'a pas été placée sous le
chapitre VII de la Charte de l'ONU permettant un large usage de la
force, soit une source de problèmes. Entre le Hezbollah et Tsahal, les
militaires français craignent de n'avoir "que des coups à prendre".
Selon des sources diplomatiques et militaires, les soldats français risquent aussi d'être "très exposés"
en raison des initiatives diplomatiques de la France. Au Conseil de
sécurité, Paris continue à resserrer l'étau autour de la Syrie, visée
par l'enquête sur l'assassinat de l'ex-premier ministre libanais Rafic
Hariri, et à maintenir la pression sur l'Iran, soupçonné de chercher à
se doter d'une arme nucléaire.
Les offensives diplomatiques à New York pourraient se traduire, au Liban sud, par des "réactions ciblées"
contre les soldats français – un risque que les services de
renseignement militaires français auraient confirmé. Et nul n'a oublié
qu'en octobre 1983, à Beyrouth, un attentat, attribué au Hezbollah, a
tué 58 militaires français.
A Paris, jeudi matin, l'Elysée expliquait prudemment que "le dispositif militaire est toujours en cours d'élaboration".
Mais, de source diplomatique proche du sommet de l'Etat, on confirme que "la France ne souhaite pas jouer un rôle plus important dans la Finul que n'importe quel autre pays membre de l'ONU". "Il
y a un malentendu avec New York. Nous n'avons jamais voulu que la Finul
soit principalement française, précise-t-on. De plus, le Hezbollah n'a
pris aucun engagement sur son désarmement. Nous refusons que la Finul
se trouve dans une position inutile ou dangereuse. Pourquoi s'engager
dans un bourbier ?"
Philippe Bolopion |