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Gauche ouvrière et chrétienne
28 mai 2008

Derrière les pyramides 2 - Moderniser l'Islam ou islamiser la modernité

Des imans égyptiens sont très virulents, reprochant dans leurs prêches, aux bons musulmans de laisser massacrer leurs frères palestiniens par les Israéliens soutenus par les Américains.Voir aussi la galerie photo de François-Régis Hutin

Des tensions existent vis-à-vis des coptes, ces Égyptiens devenus chrétiens, dès les premiers siècles du christianisme qui précédaient l'irruption des musulmans. Ils sont environ 8 millions aujourd'hui, pour près de 80 millions d'Égyptiens, et donc très minoritaires. Mais l'Église copte est très redynamisée par son pape, Chenouda III. Les monastères sont pleins, paraît-il. Il y a même des listes d'attente pour y entrer et les candidats sont souvent de jeunes diplômés très cultivés.

Comme le font souvent les minorités, les coptes se durcissent vis-à-vis de la majorité, ce qui ne fait qu'aggraver les tensions. Des incidents éclatent de loin en loin entre coptes et musulmans pour des querelles de terrains, pour certains avantages ou pour des raisons de préséance. Des soldats sont parfois mis en faction devant la porte des églises pour les protéger. Cependant, dit-on, les fondamentalistes ne se trouvent pas seulement chez les musulmans, mais aussi chez les coptes.

Craintes et dialogue

Les brimades contre les coptes existent. Dans les administrations, par exemple, on les fait souvent attendre et passer après les Musulmans. Puis, comme par hasard, il n'y a plus de formulaires. Dans les quartiers musulmans, ils sont repérés, car les femmes coptes ne portent pas de voile. Certaines m'ont dit avoir été l'objet de jets de pierres. Si un dispensaire est tenu par des Chrétiens dans tel ou tel quartier pauvre, les responsables musulmans recommandent aux jeunes musulmans de ne pas y aller, car ce serait se compromettre avec des gens (les chrétiens) voués à l'enfer et prendre le risque d'y aller avec eux.

On s'inquiète de ces tensions, même si elles sont masquées par le rappel officiel : « Musulmans ou coptes, tous également Égyptiens. » La construction d'églises est limitée. 20 000 chrétiens passent à l'Islam chaque année. L'inverse est pratiquement impossible. Les promotions aux hautes responsabilités dans l'administration ou l'armée restent difficiles pour les coptes. Cependant, certains d'entre eux ont remarquablement réussi dans les affaires.

Des observateurs immergés depuis toujours dans le monde du Moyen-Orient et en Égypte s'inquiètent encore des velléités de conquête de l'Islam. Ils redoutent que l'Occident ne se laisse déstabiliser par une immigration islamique qui ne serait pas assez intégrée aux sociétés occidentales. « Vous les laissez entrer dans vos pays sans être assez exigeants à leur endroit pour qu'ils apprennent les règles, la langue et le respect de vos lois. Vous êtes imprudents de les laisser s'accumuler dans des banlieues pauvres où ils ne trouvent ni accueil véritable ni travail. Vous êtes coupables d'une fausse intégration, vous en faites des déçus, ils se retourneront contre vous, s'effraie-t-il. L'Europe est en train de se faire avoir. Sous prétexte de tolérance, elle risque fort d'introduire chez elle l'intolérance. »

D'Égypte, l'émigration est forte vers les pays du Moyen-Orient, mais aussi vers l'Europe. Les coptes partent souvent parce qu'ils estiment ne pas avoir d'avenir. Ils vont aux États-Unis et au Canada. L'émigration égyptienne, qui était temporaire (on partait pour gagner de l'argent et revenir se marier), devient de plus en plus définitive.

S'ouvrir à l'autre

D'autres observateurs, chrétiens eux aussi, immergés dans ce monde islamique, ne partagent pas l'intensité de ces craintes. Ils pensent que le dialogue est possible entre chrétiens et musulmans, entre Occident et Orient. Mais il vaut mieux, estiment-ils, ne pas d'abord parler de religion, mais plutôt de culture et tenter de se connaître mutuellement, de s'ouvrir à l'autre. Ils soulignent que des musulmans prônent la tolérance et citent un certain nombre d'auteurs. Ils reconnaissent cependant que ces musulmans-là, en quête d'ouverture, se font mener la vie dure par leurs coreligionnaires.

Beaucoup de responsables musulmans ne se cultivent pas assez. Sans doute sont-ils trop accaparés par leur propre famille et les communautés dont ils sont responsables. L'un de ces observateurs - chrétien très engagé dans l'étude de l'Islam - a reçu un jour une lettre d'un enseignant musulman, devenu depuis son ami : « Laisse-moi te dire quelque chose. J'ai le sentiment que, toi et moi, nous sommes comme des marins qui ont voulu traverser une mer sombre et profonde pour découvrir ceux qui vivent de l'autre côté de la mer, pour bâtir un pont entre les deux rives. Il est advenu que nos deux bateaux se sont rencontrés en mer. C'est vraiment une chance en or pour le jeune marin que je suis d'avoir rencontré un homme d'expérience comme toi et d'apprendre de lui. Mais le capitaine et les vieux marins de mon bateau ne veulent pas que le jeune marin que je suis te rencontre, parce qu'ils pensent que tu es un pirate qui cherche à me kidnapper. Honnêtement, le jeune marin que je suis est troublé. Il ne sait pas quoi faire. Quoi qu'il arrive, je veux t'assurer d'une chose. C'est que le jeune marin ne cessera jamais de travailler à bâtir le pont. Tu es toujours dans mes prières, mon cher frère ». Voilà ce qu'écrivait à un prêtre catholique le fils d'un imam qui est lui-même enseignant.

Le muezzin ou les antennes paraboliques ?

Dans cet Islam contrasté, il existe un phénomène s'apparentant un peu aux prédicateurs charismatiques des États-Unis. Il présente un Islam « new age » qui « consiste à réconcilier la pratique religieuse et la réussite sociale » (1), récompense donnée par Dieu, un Dieu d'amour et de pardon. Ainsi, l'un des plus célèbres, Amr khazen, cité par le journal Al Ahran, explique en deux mots ce qu'il recommande à ses coreligionnaires : « Apprenez à coexister tout en restant fiers de votre religion. Montrez vos bonnes manières et comment en tant que musulman vous pouvez réussir dans ces sociétés. »

Évidemment, il est alors accusé d'être totalement occidentalisé. Mais il faudrait se poser la question suivante : « Qui les Musulmans écoutent-ils le plus : le muezzin, le prédicateur charismatique ou les antennes paraboliques qui couvrent les toits des villes d'Égypte qui captent et retransmettent les télévisions du monde entier ? »

La tolérance traditionnelle des Égyptiens « semble contrée par l'influence croissante de l'Islam conservateur, ce qui est tragique aux yeux de nombreux intellectuels ». Cependant, par exemple, la fête du Sham an-Nessim, fête du printemps qui remonte au temps des Pharaons, est célébrée joyeusement par des adeptes de toute croyance.

Apparemment, le port du voile s'étend même auprès des jeunes filles en jeans ajustés, tee-shirts moulants, baskets. Les mosquées sont remplies le vendredi, les fidèles en prière débordent sur la chaussée, obstruant la rue.

Ce qui fait problème, c'est le rapport de l'Islam et de la modernité. Toute une partie de la population islamisée reste très enfermée, surtout quand elle est pauvre et peu éduquée, dans une lecture rigide et traditionnelle du Coran suivie à la lettre. Certains, en même temps, s'occidentalisent dans leur comportement et leur manière de penser : on déteste l'Amérique, mais on en rêve. En fait, le problème est posé à l'intérieur de l'Islam : il y a ceux qui veulent islamiser la modernité et ceux qui veulent effectivement moderniser l'Islam.



(1) L'Islam du désenchantement, Charles Onians. Enjeux internationaux.

François-Régis Hutin     ouest - france 28/05/08

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