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Gauche ouvrière et chrétienne
27 avril 2008

Edgard Pisani : 'Il y a urgence à développer l'agriculture'

Les prix agricoles flambent, la faim menace une quarantaine de pays, les émeutes se multiplient. Ancien ministre de l'Agriculture, Edgard Pisani livre son analyse de la crise alimentaire mondiale.

Quelles sont les causes de cette crise alimentaire ?

La production agricole n'est pas assez importante. L'eau se raréfie, alors que sa consommation augmente. Il y a une compétition entre citadins et agriculteurs pour l'utilisation de l'eau, 60 % de l'eau potable produite étant utilisée pour l'irrigation. De plus, l'augmentation de la superficie des villes fait disparaître les terres les plus fertiles. La quantité de terres dévorée chaque année est considérable. La montée des océans attaque aussi les terres, au Bangladesh par exemple. Enfin, l'utilisation de produits chimiques a entraîné la pollution des sols et la stérilisation de la terre.

Pourtant, les techniques agricoles se sont améliorées.

C'est vrai, en France, dans les années 60, la terre produisait 20 à 25 quintaux à l'hectare, alors qu'elle en produit 100 désormais. Les vaches produisaient 300 à 600 litres de lait, là on avoisine les 10 000. Oui, le progrès s'est diffusé. Mais il n'a pas atteint la totalité de la terre !

Alors que la consommation humaine, elle, a augmenté.

Oui, et la terre n'est pas faite pour supporter 9 milliards d'êtres humains ! (prévus à l'horizon 2050, NDLR) En plus, la consommation a changé de nature. Les hommes mangent de plus en plus de viande. Or il faut six à dix fois plus de surface pour produire la même nourriture sous forme animale que sous forme végétale !

Que pensez-vous du développement des agrocarburants, accusés de détourner une partie des récoltes ?

La pression de l'automobile est terrible. Les ménages américains dépensent autant pour l'essence que pour la nourriture. La Chine construit des dizaines de milliers de voitures par an. Au Brésil, on a déforesté des centaines de milliers d'hectares d'Amazonie pour produire des agrocarburants. Ne vaudrait-il pas mieux réglementer la production de carburant ? Sinon la voiture va dévorer l'assiette.

Vous pointez aussi le rôle néfaste de l'Organisation mondiale du commerce.

On met en concurrence des agricultures performantes avec des agricultures en peine. Résultat, quand les prix sont bas, les pays agricoles les plus pauvres finissent par arrêter de produire. Or, on a besoin de toutes les agricultures du monde !

Que faut-il faire ? Distribuer une aide alimentaire, pour commencer ?

Peut-être, mais attention ! Souvent, l'aide alimentaire s'est organisée dans des conditions telles, qu'il était plus facile d'aller à la distribution de sacs de blé que de labourer son champ... L'absence de coordination entre les politiques d'aide et les politiques agricoles a été navrante. Dans certains cas, il aurait été plus efficace de transformer le blé en argent, afin d'aider l'agriculture sur place.

À plus long terme, quelles sont les pistes ?

Il y a encore des terres à conquérir, des progrès techniques à accomplir. L'Afrique, par exemple, ne produit pas le quart de ce qu'elle pourrait produire. Il y a certes des causes naturelles, comme le manque d'eau. Mais il y a aussi des causes techniques. En Afrique, j'ai visité des plantations. À l'intérieur des clôtures tout était vert, à l'extérieur c'était la brousse. J'ai demandé : « Vous n'installez pas de jardins ouvriers, afin que les ouvriers produisent pour eux ? » Personne n'y avait pensé. Je pense encore qu'il faut changer le regard sur l'agriculture.

Comment ?

Arrêtons de la considérer comme une activité marginale, alors qu'elle est essentielle ! En Chine, les ruraux quittent les campagnes pour trouver du travail en ville. Or l'industrie ne crée plus d'emplois à cause de la robotisation, les services commencent à être saturés... Il faut que l'agriculture se développe, afin de donner aux ruraux des raisons de rester chez eux. Et regardons ses spécificités. On agit à son égard comme si les mécanismes d'investissement étaient les mêmes que pour l'automobile ou l'immobilier !

Vous estimez qu'il faut mettre l'agriculture à l'abri de la concurrence internationale ?

Oui, il faut autoriser les pays les plus fragiles à se protéger de la concurrence étrangère. Le monde ne doit pas être géré par la liberté du commerce ! Il faut des lois de subsistance et de protection. Il faut élaborer un ensemble de règles contrôlées par la communauté internationale, et qui varient en fonction des réalités de chaque pays. Ce n'est qu'à cette condition que l'on pourra assurer la suffisance alimentaire de chaque pays. Or, on ne pense pas le monde, on pense le commerce ! Il faut penser le monde, dans ses contradictions. Sinon, on court à la catastrophe ! On l'a vu avec les émeutes de la faim, c'est la paix qui est en jeu.

Recueilli par

Florence PITARD.

ouest - france    27/04/08

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