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Gauche ouvrière et chrétienne
20 mars 2008

Discussions à flux tendu entre le Mali et la France

Migrations. Paris demande à Bamako d’assouplir ses procédures de réadmission d’expulsés.

CATHERINE COROLLER et CÉLIAN MACÉ (à Bamako)

QUOTIDIEN : jeudi 20 mars 2008

 

«Tu réadmets sur ton territoire tous les sans-papiers que je souhaite expulser, et, en échange, je t’ouvre mon marché du travail.» Tels sont, dits crûment, les termes de la délicate négociation en cours entre la France et le Mali. Hier s’est ouverte à Paris la 8e session du comité franco-malien sur les migrations. «Son originalité est que nous avons soumis à la partie malienne un avant-projet d’accord de gestion concertée des flux migratoires», explique Patrick Stefanini, secrétaire général du ministère français de l’Immigration. Badara Aliou Macalou, ministre des Maliens de l’extérieur, a fait spécialement le déplacement à Paris.

Au cœur de cet accord, la question de la réadmission par le Mali de ses ressortissants en situation irrégulière en France, et celle, non moins brûlante, de l’accès des Maliens au marché du travail français. Bilan de la rencontre d’hier ? «Je suis optimiste, il existe entre la France et le Mali un partenariat que je qualifierais de "fécond" car il tient compte des intérêts de l’autre», répond l’officiel malien dans la plus pure langue de bois diplomatique. Un membre de la délégation africaine, moins poli, parle de «flop». «Les Français voulaient qu’on réadmette tous les gens qu’ils nous présentent», explique-t-il.En échange, la France proposait une ouverture a minima de son marché du travail. En février, le gouvernement de Nicolas Sarkozy avait publié une liste de 30 métiers ouverts aux ressortissants des pays non-membres de l’Union européenne, dont le Mali. «Nous leur avons fait une proposition de 55 métiers», précise Patrick Stefanini. L’accord signé en février entre la France et le Sénégal porte sur 104 métiers. La délégation malienne ne pouvait pas accepter moins. «On a dit non», résume le négociateur malien.

Manne. Dans un pays où quasiment tous les habitants ont un parent en Europe, et où la manne de la diaspora (120 milliards de francs CFA par an, soit 182 millions d’euros) dépasse l’aide publique au développement, le sujet est ultrasensible. On estime à 120 000 le nombre de Maliens vivant en France, dont 50 000 en situation régulière. En 2007, la France aurait adressé au consulat du Mali à Paris 1 000 demandes d’expulsion, concernant des Maliens arrêtés sans document d’identité. Pour que la France puisse les reconduire à la frontière, le Mali doit les reconnaître au nombre de ses ressortissants et leur délivrer un laissez-passer. Les étrangers en possession de leur passeport peuvent être en revanche expulsés sans l’accord de leur pays d’origine. Ils ne figurent donc pas dans les statistiques du consulat. L’association malienne des expulsés a recensé 576 éloignements effectifs en 2007.

«Couteaux tirés». Depuis plusieurs mois, la France demande au Mali d’assouplir ses procédures de réadmission. «La partie française met une pression énorme sur les Maliens pour la signature de ces accords, révèle un haut fonctionnaire malien. A tel point que lors d’un rencontre précédente [à Bamako, ndlr], devant l’arrogance des Français, le ton est vraiment monté, la réunion a failli capoter. Les deux parties sont à couteaux tirés.» Hier, à Paris, les Maliens ont tenu bon. «Nous sommes convenus de nous revoir pour un deuxième round d’ici deux, trois mois à Bamako», précise Patrick Stefanini.

Les deux parties jouent gros. La délégation malienne sait son opinion publique très remontée sur le sujet. Nicolas Sarkozy, qui a basé sa politique sur la «fermeté» envers les étrangers en situation irrégulière, ne peut pas avoir l’air de céder. D’autant que des négociations sont à venir avec d’autres pays africains. Pour l’heure, ils sont quatre - Sénégal, Bénin, république démocratique du Congo et Gabon - à avoir signé avec la France des accords concertés de gestion des flux migratoires. Se profilent deux gros exportateurs de main-d’œuvre : la Côte d’Ivoire et le Cameroun. Les Africains n’ont pas établi de front commun face à la France, qui a choisi de mener des négociations bilatérales avec chacun d’entre eux. Mais tour à tour, chaque pays fait monter les enchères pour ne pas perdre la face vis-à-vis de son opinion publique et de ses voisins.

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