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Gauche ouvrière et chrétienne
12 décembre 2007

Terres inhumaines

La Voix du Nord - Edition du mercredi 12 décembre 2007

Le commentaire de Bruno VOUTERS
Ses fameuses lunettes noires, ses cheveux ébouriffés, son rude visage mal rasé, ses tenues cocasses, son pas martial, ses amazones en treillis, ses sautes d’humeur… De loin, il était à peu près acceptable, impérial et exotique. Tout juste « ingérable », selon les experts en diplomatie, qui ont souvent le mot pour rire. De plus près, il est devenu bien moins supportable. Comment le Guide ferait-il oublier le Dictateur et le Terroriste ?
Du coup, au pays dont la spécialité prétendument suprême est la défense des droits de l’homme, les déclarations ont succédé aux déclarations. Quel déluge  ! Notre honneur en jeu ! Boudeurs, cyniques, révoltés, étonnés, réalistes, réservés, elles et ils se sont exprimés sur tous les tons. Sans combine ni arrière-pensée, bien sûr ! Et sans la moindre hypocrisie !
Leurs commentaires ont occupé tout l’espace médiatique. Alors, je voudrais y faire entrer quelqu’un d’autre. À retardement, pour la journée des droits de l’homme !
Il s’appelle Pierre Duterte, et publie Terres inhumaines, un livre de deux cent soixante pages qu’on ne peut tourner sans trembler, de la première à la dernière.



De quoi s’agit-il ? D’un médecin face à la torture.
Originaire de Tourcoing, Pierre Duterte est généraliste, psychothérapeute et thérapeute familial. Depuis cinq ans, cet homme dirige un centre de soins pour victimes. Dans les locaux de « Parcours d’exil », il a accueilli des hommes et des femmes venues d’une soixantaine de pays. Effroyable expérience.
Leçon de courage et d’humanité.
Pierre Duterte a longtemps hésité. Comment transcrire de telles épreuves ? Mais il a franchi le pas. Et obtenu le salut respectueux de Robert Badinter  : grâce à lui, voici mise en cause « une humanité qui engendre de génération en génération des tortionnaires qui se considèrent comme des militants ou des exécutants aux ordres de leurs chefs. Et la gangrène qui ronge les démocraties quand elles s’accommodent de la torture pratiquée en secret avec le consentement implicite de ses gouvernants ».
Les pneus qui brûlent autour du cou. Les injections contaminatrices. Les simulacres d’exécution. Les coups de baguette (la falaka) sous la plante des pieds. Les viols. Les étouffements. La torture d’un proche… Et puis, le sadisme féminin. La dureté des enfants enrôlés.
Pour les victimes, impossible d’en sortir indemnes.
La thérapie crée avant tout « l’espace où se retrouve le sentiment d’appartenir à l’humanité, d’être le sujet de son histoire ».
Mais impossible d’effacer tant de blessures visibles et invisibles : salauds de bourreaux !
Pierre Duterte évoque certains pays de façon générale (Soudan, Sierra Leone, Irak, Iran, Afghanistan, Congo, Guinée…). Cependant, dès le début de son témoignage, le médecin précise qu’il ne divulguera pas de noms : ni chefs d’État, ni tortionnaires. Pourtant, il les connaît. Alors pourquoi ? «  Ce n’est pas pour moi que je tremble, c’est seulement pour protéger l’anonymat des patients et limiter les risques que tout recommence, pour eux ou pour leur famille restée au pays, toujours victime de la dictature. » Alors on lit : X, M, Z, Y… Victimes sans noms, bourreaux impunis !
Sombre rapprochement. D’un côté, ces déclarations à tout-va contre la visite du colonel.
De l’autre, cette impuissance à désigner précisément.
Dans notre civilisation avancée le tumulte médiatique frôle le mutisme intégral.  • 

>  « Terres inhumaines », de Pierre Dutertre ; éd. J.-C. Lattès.

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