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Gauche ouvrière et chrétienne
9 décembre 2007

Réforme de la justice

La justice de proximité saccagée

Par Alain Bazot, président de l’UFC-Que Choisir

Réforme Dati

L’UFC-Que Choisir est constituée d’un réseau de près de 170 associations locales qui traitent plus de 120 000 litiges et accompagnent à longueur d’année des consommateurs aux prises avec des professionnels dans leurs démarches pour obtenir

le respect de leurs droits. C’est dire si les juges de proximité et les tribunaux d’instance, on les connaît. Cette expérience de

terrain du fonctionnement de

la justice, de ses points forts, de ses points faibles, la ministre de la Justice n’en a cure. Elle n’a pas cherché à savoir comment le service public de la justice était vécu par ses usagers puisqu’elle mène une

réforme les tenant à l’écart.

Si l’occasion nous avait été donnée, dans le cadre d’échanges normaux au sein d’une démocratie moderne, chaque fois qu’une réforme d’ampleur touche les citoyens dans leur

rapport aux fonctions de l’État, ici rendre la justice, nous aurions bien sûr acquiescé à l’idée d’une réforme, car à l’évidence de

nombreuses évolutions sont à prendre en compte (la démographie, les communications, la dématérialisation) et la rendent nécessaire et urgente.

Mais nous aurions aussi pu dire que s’il y a aujourd’hui une justice proche des justiciables, accessible au plus grand nombre, rapide,

offrant les garanties d’un procès équitable, c’est bien celle rendue par les tribunaux d’instance. Il faut la renforcer, la moderniser, pas la

démanteler.

Oui, démanteler, car les mesures annoncées par la ministre de la

Justice se résument essentiellement en des suppressions massives de tribunaux d’instance qui aboutissent à l’instauration de véritables déserts judiciaires (disparition de près de 40 % des tribunaux d’instance).

Comment peut-on encore prétendre préserver les intérêts des consommateurs justiciables lorsqu’on contraint bon nombre d’entre eux à parcourir parfois plus de 130 kilomètres pour obtenir une décision de justice ?

En dépit des conséquences dramatiques de cette réforme, massivement dénoncées, la chancellerie refuse de revoir sa copie et entend même aller plus loin dans la contradiction en rendant l’avocat obligatoire. C’est ainsi que face à la grogne des avocats installés dans le ressort des tribunaux supprimés, la ministre offre aux représentants de cette profession une extension de la représentation obligatoire par avocat.

Comment peut-on encore défendre l’idée d’une réforme visant à rendre la justice

accessible quand les justiciables devront aussi payer des frais d’avocat parfois supérieurs au montant de leur préjudice ?

L’enjeu de cette réforme n’est pas corporatiste, il concerne la

société tout entière puisqu’il y va du respect du droit dans ce qu’il a de plus quotidien. Il est aberrant qu’elle soit menée non seulement sans les justiciables principalement concernés, mais contre eux.

La proximité de la justice est une exigence intrinsèque à la justice tout court. Loin de renforcer ce principe, cette réforme remet en cause des éléments fondamentaux de rapprochement justiciable-juge. Le justiciable doit pouvoir facilement rencontrer le juge, physiquement, sans intermédiaires coûteux, sans écrans. C’est une justice en prise directe avec les hommes qu’il faut entretenir chaque fois que la violation des droits est davantage une affaire de loyauté, d’honneur, de respect de la personne, que strictement financière. Certains appellent cela les

petits litiges de la consommation. Il n’empêche, la perspective de les confier à un juge s’éloignant, c’est l’écart déjà préoccupant entre les citoyens et leur justice qui se creuse.

.

Rachida Dati veut rapprocher… en éloignant !

Par Patrice Tachon, avocat gréviste au barreau de Moulins (Allier).

Réforme Dati

La question devrait être posée différemment : dans le système Dati, le justiciable existe-t-il ? Si on cherche dans le discours de la ministre une justification de sa réforme, on retrouve, totalement détournée, cette vieille vérité populaire marquée au coin du gros bon sens : on ne fait pas d’omelette sans casser d’oeufs. En l’espèce, le justiciable, donc le citoyen, tient le rôle de l’oeuf. Madame Dati, en habit de lumière ou en tenue de Paris Match, touille élégamment : elle peut aussi sortir, à la demande, une mayonnaise, une crème fouettée… sans plus y prêter d’attention ; le plat fini, elle ne goûte pas, elle ne resale jamais, ne change rien : ce que fait Lara Kroft est nécessairement parfait. La réforme de la garde des Sceaux nous invite donc à un moment historique : dans une justice objet de consommation, le justiciable devient lui-même une marchandise destinée à alimenter de nouvelles usines de justice qu’on veut créer plus grosses, plus belles, à coups de millions d’euros mais, dit-on, pour faire des économies…

Dans le monde merveilleux qui se prépare, le justiciable, qui est aussi un patient et un administré, se réjouira de voir son tribunal d’instance ou de grande instance s’éloigner de 50 km. Demain, il sera hospitalisé à la même distance, mais en un autre lieu, pour varier ses plaisirs, puis on lui trouvera un autre endroit tout aussi éloigné mais différent pour satisfaire à ses formalités administratives. En réformant la carte judiciaire comme on l’a fait, on réinvente, sous une forme nouvelle, le concept de déplacement de population, de déportation à la carte (sans jeu de mots), etc. Madame Dati lui a déjà trouvé un nom : c’est ce qu’elle appelle la « concentration de proximité ». Juste avant de changer le plomb en or, on parvient à rapprocher en éloignant…

Des esprits chagrins regretteront demain que dans des villes petites ou moyennes mais vivantes (pourquoi les bourgades seraient-elles nécessairement endormies ?) il n’y ait plus d’enceinte de justice en tant que symbole du contrat social dans ce parcours qui nous a menés de la barbarie à la civilisation. Il faudra les faire taire. Le monde judiciaire nouveau qu’on nous promet, en éloignant la justice des endroits de vie, diminuera le besoin ou l’envie de celle-ci : pourquoi faire des kilomètres pour un litige de voisinage ? Au bout du compte les gens deviendront plus raisonnables, moins chicaniers et les rôles d’audience s’amenuiseront : c’est ce qu’il est convenu d’appeler, dans le langage actuel, un accord gagnant-gagnant. Il y a à Moulins, dans l’Allier, au coeur de la France, un peuple d’irréductibles, rassemblé toutes opinions politiques mêlées, qui ne renonce pas à faire entendre sa différence et son refus d’une réforme sans âme et sans autre fondement qu’un effet d’annonce : ce n’est pas gagné, madame Dati gouverne avec des boules Quiès.

LM 08/12/07

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