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Gauche ouvrière et chrétienne
13 juin 2007

Carte scolaire : les pièges du libre choix

         

LE MONDE | 12.06.07 | 15h06  •  Mis à jour le 12.06.07 | 15h06         

                                         

                                      

               
                  
                  





               
                  

La suppression de la carte scolaire est un mot d'ordre actuel mais pas inédit : ce projet figurait déjà dans la plate-forme RPR-UDF de 1986, puis dans le programme de cette même alliance en 1993. Mais il n'a pas été concrétisé. Seuls des "assouplissements" ont été réalisés. En matière de choix des établissements, ce n'est donc pas forcément tout l'un ou tout l'autre - une carte ou rien - comme Ségolène Royal l'a d'ailleurs indiqué en proposant de "desserrer cette contrainte", au cours de la dernière campagne présidentielle.

 

Maître de conférences en sciences de l'éducation à Grenoble-II et signataire de l'ouvrage Les Nouvelles Politiques éducatives, La France fait-elle les bons choix ? (à paraître aux PUF en novembre 2007), Nathalie Mons estime que le système français actuel témoigne d'une "vraie fausse rigidité". Qu'il s'agisse de l'école primaire, où la sectorisation n'est nullement une règle homogène, même en zone urbaine, ou bien des lycées, pour lesquels les familles émettent généralement plusieurs voeux, les règles sont très variables selon les lieux.

C'est au niveau des collèges et dans les villes que la sectorisation est la plus contraignante, sans l'être partout ni au même degré. Selon une étude de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l'éducation nationale (DEPP) datant de 2001, un collégien sur dix serait scolarisé hors secteur. De nombreux assouplissements expérimentaux ont déjà été réalisés depuis la fin des années 1980, mais aucun bilan n'en a été tiré, regrettent aussi bien les chercheurs que les chefs d'établissement. A cette relative souplesse des inscriptions dans le public s'ajoute la totale liberté d'inscription dans le privé.

A ses étudiants, Mme Mons se plaît à demander qui de la France ou des Etats-Unis, d'après eux, scolarise le plus d'élèves dans le privé. Réponse invariable : "Les Etats-Unis, champions, à leurs yeux, du libéralisme et de l'initiative privée. Or c'est l'inverse." En France, à la rentrée 2005, 14 % des élèves du primaire et 20 % de ceux du secondaire étaient scolarisés dans le privé, contre à peine plus de 10 % des élèves américains des deux niveaux.

La chercheuse distingue, parmi les pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), quatre types de systèmes de choix des établissements. D'abord "l'absence de choix", du fait d'une sectorisation rigide : c'est notamment le cas du Japon, de la Corée du Sud, d'Hongkong et, en Europe, de la Grèce.

Puis vient le modèle de la "carte scolaire, avec possibilités de dérogations", comme c'est le cas en France, mais avec différentes variantes (dérogations individuelles, locales, par niveau, filières...) : le Portugal, le Canada, l'Allemagne, la Norvège, la Finlande correspondent à cette définition.

Troisièmement, figure le "libre choix total", qui met en présence l'offre et la demande sur le marché scolaire : ce modèle, qui est actuellement celui de la Belgique, était aussi, pour ce qui est de l'Europe et jusqu'à la fin des années 1990, celui de l'Angleterre, de la Hongrie ou de la République tchèque.

Mme Mons constate que la compétition entre établissements conduit à "remettre la liberté de choix non plus entre les mains des parents, mais entre celles des directeurs des établissements les plus cotés". L'idée de liberté est ainsi pervertie : c'est un système où, finalement, "les familles choisissent, les établissements disposent". Mais les pays qui ont choisi cette option ont constaté qu'elle renforçait les écarts entre établissements favorisés et défavorisés.

De ce fait, ces pays se montrent aujourd'hui de plus en plus attirés par un quatrième modèle : celui du "libre choix régulé". Les familles choisissent alors un établissement, mais les administrations chargées de l'éducation prennent la décision finale "en intégrant, en sus des voeux parentaux, des considérations d'ordre général", dont la préservation d'une relative égalité de l'offre scolaire et de la mixité sociale au sein des établissements. Ainsi, l'Angleterre, qui avait procédé en 1988, sous le gouvernement de Margaret Thatcher, à une libéralisation totale des règles d'inscription, a finalement instauré, en 1998, un "code de procédure des sélections" pour empêcher les écoles de refuser des élèves en difficulté.

A l'origine cantonné à des pays comme le Danemark ou la Suède, ce type de régulation gagne du terrain, faisant dire à Mme Mons que "plus que le concept de libre choix, ce sont les modalités de sa mise en oeuvre qui importent". C'est pourquoi "si la France avance sur le chemin d'une désectorisation, juge la chercheuse, il serait judicieux qu'elle suive plutôt le modèle de libre choix régulé". Un point de vue qui est d'ailleurs partagé par la plupart des chercheurs.

Sera-t-il celui de Xavier Darcos ? Chacun sait qu'il n'était pas des plus enthousiastes pour supprimer la carte scolaire. Mais, par égard pour les engagements pris par le président de la République, le ministre de l'éducation nationale ne l'admettra sans doute jamais. En annonçant le doublement des dérogations accordées, dont la proportion serait portée d'environ 10 % au niveau national à 20 %, et en donnant une liste de critères précis (notamment la priorité aux élèves handicapés et boursiers) "dans la limite des places disponibles", le ministre a néanmoins commencé à tenir la promesse présidentielle de suppression progressive de la carte scolaire.

Ce premier desserrement va compliquer la vie de nombreux chefs d'établissement, obligés de revoir en juillet ou en août des effectifs qu'ils croyaient bouclés il y a quelques semaines, mais il ne provoquera peut-être pas la "pagaille" annoncée par leurs syndicats. Contrairement aux craintes exprimées, les standards des rectorats de Paris, Versailles et Créteil n'étaient pas submergés d'appels parentaux, plus d'une semaine après les assouplissements détaillés le 4 juin par le ministère de l'éducation nationale.

M. Darcos a fixé à l'horizon 2010 la liberté de choix "totale". Il lui reste donc trois ans, s'il ne veut pas demeurer dans les mémoires comme celui qui aura renforcé les ghettos, pour inventer des solutions nouvelles : des formes de régulation qui ne s'appelleraient pas "carte scolaire", qui permettraient donc de revendiquer sa "suppression", mais assureraient parallèlement le rétablissement promis de la "mixité sociale". Une mixité qui ne se limiterait pas à la seule promotion des élèves défavorisés les plus "méritants", même si cet aspect n'est pas négligeable. Mais comment fabriquer du brassage social avec, à la base même de l'hostilité à la sectorisation scolaire, le désir contraire d'un "entre-soi" protecteur ?

Certaines pistes sont suggérées par des praticiens chevronnés du système scolaire français qui, bien qu'en désaccord avec les choix actuels, tentent de se projeter vers l'avenir. La plupart savent qu'il n'y a pas de solution unique et que, pour être respecté, l'objectif de mixité sociale réclame la conjonction durable de plusieurs facteurs : une volonté politique sans faille au sommet et, à la base, un travail opiniâtre.

Le Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale (SNPDEN), majoritaire chez les chefs d'établissement, prône l'offre systématique d'options attractives dans des lycées et collèges que les parents et les élèves évitent. "Il faut un travail très fin avec chaque établissement, dans le cadre d'une contractualisation", propose l'ancien inspecteur général Bernard Toulemonde. Il préconise notamment que le financement des établissements soit "affecté d'un coefficient selon la mixité sociale de leurs effectifs".

En septembre 2006, M. Darcos ne disait pas les choses différemment lorsqu'il expliquait : "Il faut remplacer la carte scolaire par une multitude de solutions adaptées aux besoins locaux." Le ministre et ses services ont désormais l'obligation de se montrer créatifs.

Luc Cédelle

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