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Gauche ouvrière et chrétienne
25 mai 2008

Reportage en plein coeur du Sichuan dévasté

  |    23/05/2008 Le Point.fr

De notre envoyée spéciale Caroline Puel

L'horloge de Hanwang s'est arrêtée à 14 h 28. Elle était à l'heure... C'est à cette minute précise, lundi 12 mai, qu'un séisme d'une magnitude de 8 degrés a ravagé cette région située entre la plaine du Sichuan et le plateau tibétain. "J'étais dans le salon avec mon frère, lorsque brusquement l'immeuble a basculé en arrière, comme si la terre se soulevait sous nos pieds. Le canapé s'est écrasé contre le mur. Nous nous sommes traînés à l'extérieur. Mais une fois dehors, impossible d'aller plus loin, les maisons de nos voisins s'effondraient devant nous", raconte Zhang Lin, une jeune femme de 28 ans. Hanwang, 53.000 habitants, située à 37 km de l'épicentre, a été détruite à 80 %...

L'armée, qui a été mobilisée aussitôt, a bouclé la région. Les rescapés comme Zhang Lin et son frère ont été évacués vers des camps de fortune, dressés dans des tentes militaires. Comme à Shifang, où 1.200 personnes sont arrivées en quatre jours. Des lycéens volontaires font de leur mieux pour gérer l'approvisionnement en eau minérale et petits pains, ainsi que les distributions de vêtements qui s'entassent en un énorme tas. Les habitants de la localité passent le soir pour discuter avec eux ou aider. Mais à Mianyang, où le stade Jiuzhou abrite plus de 10.000 réfugiés, les médecins débordés s'inquiètent des conditions sanitaires. Et à Jiangyou, une ville de 876.000 habitants en temps normal, située au carrefour des routes qui descendent de la montagne, ils étaient officiellement 340.000, mais peut-être réellement 400.000 sans abri le 20 mai ! Alors que les pluies reprennent les tentes, les toilettes chimiques, les douches font sérieusement défaut dans cet entassement humain où une épidémie de gangrène a déjà entraîné l'amputation d'une trentaine de personnes. Les blessés ont été envoyés dans les hôpitaux de la région. Les familles essayent de se recomposer et comptent leurs morts. Les photos et noms des enfants esseulés passent le soir à la télévision. Et les membres valides des familles font le tour des centres hospitaliers pour essayer de retrouver un enfant ou un parent manquant. L'afflux de blessés a été si énorme et soudain que des centaines de patients ont été déplacés d'un centre à l'autre sans que leur dossier soit forcément enregistré. Zhang Lin et son frère sont revenus tous les jours à Hanwang, à la recherche de leur père. Ils errent dans leur quartier fantôme, l'air hagard.

Les soldats se sont répartis les quartiers, en commençant par les écoles, les usines et les grands magasins, qui, à l'heure du drame, étaient en pleine activité. Des éclaireurs avancent avec un radar et passent au crible les amoncellements de gravats. Dès qu'un signe de vie est repéré, un petit groupe de soldats est détaché pour tenter de dégager un survivant.

Quatre jours après le désastre, une terrible odeur de mort a commencé à flotter... On ne peut entrer dans Hanwang qu'équipé d'un masque de coton qui protège le nez et la bouche. Les médecins redoutent les épidémies et des soldats aspergent les rues d'antiseptique. Il n'y a plus aucun bruit dans la vieille ville, si ce n'est le vrombissement d'un hélicoptère qui évacue les derniers blessés et la sirène d'une ambulance.

Un groupe de pompiers en combinaison orange et masque blanc arrive au petit trot, porteur d'un brancard sur lequel repose une forme recouverte d'un plastique noir. "Écartez-vous ! Écartez-vous !" Le frère et la soeur s'enquièrent. Les porteurs s'arrêtent, soulèvent le plastique au niveau du visage. Ce n'est pas le père, mais un voisin... Les porteurs repartent aussitôt. "Le plus dur, ça a été la maternelle", confie l'un des pompiers venu avec son unité du Henan. "Lorsque la terre s'est mise à trembler, c'était l'heure de la sieste et il faisait chaud. Les enfants dormaient en tee-shirt et petite culotte..." Il ne peut en dire plus. Ses lèvres tremblent et ses yeux se remplissent de larmes. Son chef rappelle aussitôt le bataillon au garde à vous. "Nous avons tous des enfants et je comprends votre émotion, mais nous avons une mission à remplir. Tant qu'il nous reste un peu d'espoir, il faut essayer de sauver des vies..." Une minute de repos tête basse, accroupis, et la troupe repart en petite foulée... Dans la rue voisine, le lycée Dongqi, qui comptait 1.000 élèves, s'est effondré, 200 enfants et professeurs sont encore ensevelis. Un peu plus loin, le centre d'éducation Wudu comptait 700 élèves. 415 seulement ont pu être sauvés. Dans l'usine de turbines (partenaire d'Areva), qui comptait 6.000 ouvriers, 160 sont encore portés disparus. Une forte réplique survenue une heure avant notre arrivée a empêché l'extraction d'hommes par des sauveteurs venus de Hong-Kong.

À une vingtaine de kilomètres de l'épicentre, Jinghuazheng, qui comptait 14.600 habitants, révèle un paysage d'apocalypse. D'énormes blocs de pierre ont obstrué la route et arraché la voie de chemin de fer. Les soldats ont été parachutés et les premiers sauveteurs sont arrivés à pied. De chaque côté de la route, ce ne sont que des amoncellements de bois, de carrelage blanc, et des blocs de béton. Seule subsiste l'usine chimique, construite en 1958. Des soldats accompagnés d'ouvriers l'ont arrêtée, en ouvrant les canalisations d'ammoniaque qui se sont déversées dans la rivière... Un homme, l'air hébété, est en train de fixer un gros ours en peluche sur sa moto. Il s'appelle Lou Caiwu et a 40 ans. "Jusqu'à lundi dernier, j'étais un homme heureux. J'avais un petit magasin d'alimentation, une belle femme et deux fils. J'étais dehors avec ma femme lors du tremblement de terre. Aussitôt après, j'ai couru à l'atelier où était l'aîné. Il avait 15 ans : je l'ai retrouvé mort. Alors je suis parti comme un fou pour le collège où était le second qui avait 9 ans. Lorsque je suis arrivé, l'école qui faisait trois étages était déjà effondrée. Avec d'autres parents, on a essayé de dégager les enfants. J'appelais mon fils, j'étais devant sa classe. Et il m'a répondu. On a parlé pendant près de deux heures pendant qu'on essayait d'enlever ces énormes blocs de béton avec nos mains. Et puis il a parlé de plus en plus faiblement. Et puis plus rien..." Moins d'une centaine d'enfants ont pu être sauvés de cette école de Hongbai qui comptait 732 élèves. Lou cherche sa femme des yeux. Que vont-ils faire maintenant ? Ils ne savent pas...

Face à l'ampleur du désastre, une réaction de solidarité inédite a saisi la Chine. D'abord spontanée : Xie Shuguan a pris l'avion de Shanghai à Chengdu pour retrouver un ancien camarade d'université. "Il avait trouvé du travail à Beichuan, l'une des villes les plus touchées", explique le jeune homme de 23 ans. Un compagnon de la même promotion est venu le chercher à l'aéroport de Chengdu. Ils ont chargé la petite voiture rouge de sa fiancée de bouteilles d'eau et de paquets de biscuits pour les réfugiés et sont partis aussitôt, armés d'une enveloppe d'argent rassemblée par l'université pour aider leur ami à se réinstaller ou pour sa famille, si le pire était arrivé... Comme eux, des centaines de milliers de Chinois se sont mobilisés dont - fait nouveau - beaucoup d'enfants uniques, nés depuis 1978, réputés jusqu'à présent pour leur individualisme et leur matérialisme... Ils ont été particulièrement touchés par l'action de leur Premier ministre Wen Jiabao, qui s'est rendu immédiatement sur le terrain.

La propagande s'efforce maintenant de récupérer ce mouvement. Le Président chinois s'est à son tour rendu dans la zone sinistrée, et, le 18 mai, une grand-messe télévisée a appelé artistes et entreprises à faire des dons pour la reconstruction. 150 millions d'euros ont été rassemblés en deux heures ! Un moyen habile de resserrer le tissu national en cette année 2008 que les Chinois commençaient à trouver bien mal amorcée entre la vague de froid de l'hiver, la crise tibétaine, le parcours houleux de la flamme olympique et l'épidémie de virus tueur... Ce sursaut patriotique et cette crédibilité des plus hauts dirigeants apparaît d'autant plus nécessaire au régime qu'un débat houleux se développe sur Internet à propos des écoles, dont près de 7.000 se sont effondrées. Le ministre de la Construction a affirmé que les responsables seraient recherchés et sévèrement punis, et trois jours de deuil national ont été décrétés à partir du 19 mai. Une semaine précisément après le tremblement de terre le 19 mai à 14 h 28, la Chine entière s'est arrêtée de bouger en hommage à ses 80.000 morts. Toutes les sirènes des casernes, des usines, des bateaux, des trains et les klaxons des voitures ont lancé vers le ciel une longue plainte de trois minutes, alors que partout les passants s'immobilisaient, les larmes aux yeux. C'est la première fois dans l'histoire du régime communiste que le peuple et ses enfants faisaient l'objet d'une telle sollicitude...

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